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Québec Cinéma

En discussion
avec Anne Émond

Mercredi, 3 mai 2017

Lundi soir dernier avait lieu au Centre des loisirs de Saint-Laurent, la projection du second long métrage de la cinéaste Anne Émond, présenté en première mondiale lors du prestigieux Festival de Locarno en 2015, Les êtres chers.

Cette projection gratuite, soutenue par le Conseil des arts de Montréal dans le cadre de l'événement CAM en Tournée, a été suivie d'une discussion animée par Daniel Racine entre le public nombreux et attentif et la cinéaste. 

Nous y étions et avons eu la chance de récolter quelques clichés en plus d'un extrait du dialogue entre l'invitée et les cinéphiles.

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Daniel Racine : Les êtres chers c’est ton deuxième long métrage, mais c’est un film qui t’habitait depuis très longtemps, même je pense que c’était avant que tu fasses Nuit #1, ton premier long métrage. Pourquoi avoir attendu que ça devienne ton deuxième film ?

Anne Émond : C’est une histoire qui est très proche de moi et que j’ai vécue de très près dans ma famille donc j’ai toujours su depuis l’âge adulte finalement qu’un jour j’allais écrire là-dessus. C’est une histoire qui est assez…c’est un sujet qui est très délicat, en fait, qu’il l’était particulièrement pour moi l'ayant vécu de près. Je ne me suis pas sentie prête à en parler avant d’être rendue juste un petit peu plus vieille. J’avais besoin de faire d’autres choses avant. Puis après mon premier film, on dirait que pour plein de raisons personnelles et professionnelles, puis après avoir expérimenté un peu, je me suis sentie prête à raconter cette histoire.

DR : Est-ce que c’est plus facile ou plus difficile d’écrire un scénario comme Les êtres chers ou Nelly où là c’est carrément autre chose, on est vraiment dans la fiction puis dans l’autre dans la réalité de quelqu’un d’autre? Qu’est-ce qui est plus facile pour toi, d’écrire un scénario plus proche comme Les êtres chers ou Nelly?

AÉ : Je pense que chaque projet de film a ses grandes difficultés et ses grandes exaltations aussi. Pour Les êtres chers, c’est sûr que ça m’a permis d’aller vraiment revisiter des éléments de mon passé. J’avais envie de parler d’un sujet aussi qui est assez tabou, mais qui existe quand même. Le suicide c’est un sujet qui est extrêmement délicat. On n’en parle énormément puis en même temps c’est curieux de voir comment la perception des gens est différente en fait. J’avais vraiment envie de parler de ça parce que quand je parlais de mon histoire personnelle ou maintenant quand je montre ce film-là, souvent on me demande « Mais pourquoi il a fait ça ? ». Je sais que la réponse n’est pas dans le film, mais c’est parce que la réponse on ne l’a pas. Souvent malheureusement ces gens-là partent avec leur réponse. Alors j’avais vraiment envie de montrer ça aux gens qui ne l’ont peut-être pas vécu.

DR : Je trouve que la plus grande réussite de ton film c’est que tu avais un sujet très sombre, mais tu en as fait un film très lumineux. Comment as-tu pu penser ça au niveau de l’image ? Ta relation avec ton directeur photo aussi, comment avez-vous préparé le tout ?

Anne Émond : Effectivement, c’est sûr que c’est un film qui peut être très dur. J’espère que ce n’est pas un film qui est déprimant. Je sais que c’est un film qui peut être bouleversant, mais je ne voulais pas en faire quelque chose qui déprime les gens. Au contraire, pour moi, même si c’est un film qui parle de la mort c’est surtout un film qui parle de la vie. Puis à la fin, la jeune Laurence, je veux que ce soit clair qu’elle a choisi la vie. À travers tout ce voyage-là, elle va s’en sortir puis ça a vraiment fait partie de toute la démarche avec tout le monde, avec le directeur artistique, le directeur photo, le musicien Martin Léon…on est vraiment allé justement dans des images assez lumineuses. On tournait dans un endroit magnifique dans le bas du fleuve. On ne voulait pas filmer comme une carte postale non plus. On ne voulait pas que ce soit toujours comme une peinture magnifique, tu sais. Sauf qu’en même temps, je voulais que ce soit très tendre et très doux malgré l’horreur qui se déroule dans le film.

Public : La dépression c’est vraiment une maladie mentale. Est-ce que ça peut courir dans une famille? Comment cette jeune fille-là peut-elle s’en sortir seule?

AÉ : Effectivement, je suis tout à fait d’accord avec vous. On ne cherche pas à expliquer pourquoi les gens ont un cancer du poumon. Malheureusement, c’est un peu la même chose avec la dépression à certains niveaux j’ai l’impression. C’est statistiquement prouvé que s’il y a un suicide dans une famille, c’est plus dangereux pour les générations suivantes, pour les frères, pour les sœurs, pour l’entourage parce que ça fait partie des solutions, malheureusement. Tout à coup dans l’imaginaire, quand on traverse une période difficile et qu’on l’a vécu de près, ça fait partie des solutions. Donc statistiquement c’est prouvé. Par rapport à l’aide qu’elle peut demander, moi j’ai l’impression que dans le film, lorsqu’elle va parler à sa grand-mère et qu’elle lui dit la vérité, elle lui dit « C’est ça qui s’est passé avec grand-papa. Puis moi à partir de maintenant, je veux qu’on arrête de mentir. » Je pense que c’est déjà un pas vers la guérison. Ensuite, probablement que si je faisais un deuxième film, oui je pense que tout le monde dans cette famille-là doit s’armer, doit aller chercher de l’aide.

Public : Je pense qu’aujourd’hui, en 2017, ça peut être encore tabou le suicide. Cependant, il y a les appels à l’aide et je pense qu’on en parle un peu plus. Il y a des adresses, des services, des lignes de conversation. Je pense que c’est important et aujourd’hui on peut faire des appels à l’aide. Il faut encourager ces références-là. Je trouve ça très important.

AÉ : Justement dans le film en plus, j’avais une scène – qui a été coupée – qui se passait à Suicide Action Montréal. On était avec la jeune fille, Laurence, qui s’en allait dans un groupe de Suicide Action, mais c’était comme trop tôt pour elle, puis elle se fâchait qu’elle n’était pas capable d’être là. Puis ça a été coupé du film justement parce que je trouvais que ça donnait un peu une mauvaise impression de ces organismes-là qui aident beaucoup, mais comme la jeune fille était tellement rebelle puis tellement en crise. Mais il y a énormément de ressources maintenant qui existe puis tant mieux si un film ou si une musique ou si une pièce de théâtre peut en parler pour faire que les gens en parlent plus.

DR : Présentement sur Netflix, il y a une série qui fait beaucoup jaser qui s’appelle 13 Reasons Why (13 raisons), qui est sur le suicide d’une jeune fille et ça ébranle beaucoup dans les écoles secondaires, trop. Il y a un suivi qui se fait avec les psychologues et tout ça, donc oui c’est un sujet qui reste quand même délicat. 

[...] À quoi ça ressemble un plateau de tournage de Anne Émond, surtout par rapport à tes comédiens? Est-ce que vous travaillez ensemble en amont avant le tournage puis sur le plateau, jusqu’à quel point ils sont libres aussi d’interpréter et de te proposer des trucs?

AÉ : Moi je ne fais pas, vraiment pas de répétitions. En fait, je n’aime pas vraiment ça parce que tu es dans un local blanc, il n’y a rien, tu es éclairé aux néons. Je n’ai jamais trop cru à ça. Ça dépend pourquoi. Dans Nuit #1, mon premier film, il y avait des monologues interminables alors on répétait le texte ensemble. Il y avait vraiment une lecture de table pour apprendre les mots. Mais les répétitions, je n’aime pas beaucoup ça. Ceci dit, j’essaye vraiment de créer une vraie atmosphère. Donc normalement à partir du premier jour de tournage, je me suis arrangée pour qu’on soit déjà tous des amis, particulièrement pour un film comme Les êtres chers. Il y a quelque chose de très fraternel qui s’est créé. On habitait tous ensemble dans des petits chalets sur le bord du fleuve dans Kamouraska pendant plusieurs semaines quand même. On ne pouvait pas vraiment voir nos familles le soir. Donc il y avait vraiment quelque chose de très familial comme le film, qui s’est créé. Rendus au tournage du party de Noël, c’est drôle parce que c’était vraiment le 23 décembre alors on partait tous dans nos vrais parties de Noël le lendemain et on s’est rendus compte qu’on avait vraiment créer quelque chose. Les acteurs sont assez libres quand même. J’écris assez précisément. J’aime ça écrire des dialogues. C’est une des choses que j’aime le plus alors c’est sûr qu’ils les suivent. Ils ne font pas nécessairement beaucoup d’improvisation, mais on finit par se connaître et par connaître tellement les personnages que oui on rajoute des petites lignes, on rajoute des mouvements, on rajoute plein d’affaires ensemble. Je dirai que c’est un climat qui est très doux, vraiment. Je ne crie jamais.

DR : Ça ne me surprend pas !

AÉ : J’essaye, en tout cas !

(rires)

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Nelly, le plus récent long métrage de la jeune cinéaste est en lice pour six prix au prochain Gala Québec Cinéma dont notamment Meilleure interprétation | Premier rôle féminin pour Mylène Mackay et Film s'étant le plus illustré à l'extérieur du Québec.

(crédit photo : Joanne Geha)

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