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Les oiseaux ivres : entrevue avec Ivan Grbovic et Sara Mishara

Jeudi, 14 octobre 2021

Après Roméo Onze, récipiendaire de cinq nominations au Gala 2013, Ivan Grbovic nous propose son deuxième long métrage de fiction, coécrit avec Sara Mishara, également directrice de la photographie. Nous avons rencontré les auteurs du long métrage Les oiseaux ivres qui prend l’affiche demain, afin d’en savoir plus sur ce projet hors du commun, qui a été choisi pour représenter le Canada dans la course aux Oscars.

Dans un premier temps, nous aimerions savoir ce qui a causé les dix ans d’attente depuis Roméo Onze?

Ivan Grbovic : Je ne sais pas… je n’avais rien à dire. C’est la vie. Je ne fais pas du cinéma pour ma carrière, même si j’aimerais faire plus de films. Mais c’est juste que ça m’a pris du temps… mais quand j’ai voulu faire un film, je l’ai fait assez rapidement. En fait, je n’ai pas attendu. Sara et moi, on avait un autre film que l’on voulait développer, mais ça n’a pas adonné. Finalement, j’avais un deuxième scénario, on a appliqué avec ce scénario-là, et dès que l’on a décidé d’appliquer cela a été assez vite.

Alors, justement, quelle est la genèse de ce film?

Ivan Grbovic : J’avais 25-26 ans, je tournais un truc à Sainte-Martine, au sud de Montréal. En revenant, je suis passé par St-Rémi. Il y avait du brouillard, et j’ai remarqué des travailleurs mexicains au milieu du village, dans le brouillard, à côté d’une caisse d’épargne. Cette vision, on la retrouve dans le film. J’ai trouvé ça déroutant, énigmatique, mystérieux. Je n’avais aucune idée qu’au Québec il y avait des travailleurs mexicains. Alors j’ai eu l’impulsion de vouloir créer une histoire autour de ça. Ceci étant dit, la première version du scénario était centrée sur Léa [en 2008-2009, NDLR]. Presque avec un côté archéologique, chaque fois que je retournais au film, je changeais un peu les personnages, le point de vue.

Donc, depuis tout ce temps, vous avez retravaillé votre histoire…

Ivan Grbovic : Oui, le film habite mon esprit depuis tout ce temps. C’est clair que depuis 2016, c’est plus le film qu’on veut faire, mais avant ça, le scénario existait et prenait forme, lentement, mais sûrement.

Par rapport à Roméo Onze, on remarque un net changement de style esthétique et narratif. Pourquoi?

Ivan Grbovic : Je ne sais pas. Roméo Onze est autant moi que Les oiseaux ivres, en terme d’esthétique. Avant, j’étais plus dans la justesse, dans le réalisme ; j’avais un acteur spécial avec qui je voulais créer quelque chose. Ici, je voulais créer une fable, un conte, quelque chose de « larger than life »… c’est drôle, mais… ce film, c’est plus moi que le premier film. Dans le sens où j’ai ouvert toutes les portes que je voulais ouvrir. Quand j’écrivais, oh, on peut aller à gauche, oh, on peut aller à droite. C’était vraiment libérateur comme procédé d’écriture.

On sent aussi dans ce film une véritable intention de faire du cinéma, de poser un geste cinématographique…

Ivan Grbovic : Oui, oui, 100%. il y a de l’amour du cinéma dans Les oiseaux ivres. Il y aussi l’amour des clichés du cinéma. Finalement, le cheval, est-ce qu’il est vraiment là? Est-ce qu’il [Willy, NDLR] a vraiment fait tout ce chemin pour se retrouver en ville? J’espère juste ne pas bercer trop le spectateur dans le lyrisme. Il faut éventuellement qu’il se réveille et qu’il se pose des questions. Est-ce possible? Même chose avec la séquence du début, avec la poésie des scènes dans les champs… Mais, oui, 100% cinéma, 35 mm, fin de jour, 100%… et tout ça, sans voler la vedette au scénario. Tout le monde revient sur le début du film, cet espèce de gros château débile... mais le plus grand obstacle du film c’était de rendre la campagne québécoise avec ce même genre de grandeur…

Avant tout une expérience viscérale à vivre dans une salle de cinéma

Comment s’est passé votre collaboration pour transcrire en images ce souffle épique qui traverse le film?

Sara Mishara : Dans le scénario, il y avait quand même déjà beaucoup de précisions sur l’approche visuelle que nous souhaitions. On en avait beaucoup discuté ensemble à l’avance. Sur place, nous avons passé beaucoup de temps à réfléchir, à prendre des photos, à regarder la position du soleil, à planifier les prises de vues. On a placé les logements des travailleurs selon l’endroit où allait se coucher le soleil… Tout ça a été construit, comme la maison d’ailleurs. Et je dois mentionner le travail d’André-Line Beauparlant qui a fait les décors. Ça ne paraît pas parce que c’est tellement bien fait, mais elle a créé un univers au complet.

Ivan Grbovic : La maison du film c’était une maison abandonnée qui a été refaite. Parce qu’on voulait être sur le même terrain. Parce qu’on voulait bien placer nos logements pour profiter des couchers du soleil.

Sara Mishara : Dans la maison, on a pensé aux cadrages et à la mise en scène d’abord et André-Line a construit les décors en fonction du tournage et de la façon que l’on voulait connecter les pièces entre elles… On retrouve des références visuelles très claires. Mais comme Ivan et moi on se connaît depuis longtemps [ils sont en couple, NDLR] et qu’on a le même language cinématographique, il y a beaucoup de choses que l’on comprend de manière intuitive. Mais c’est certain que pour planifier le tournage, nous avons fait beaucoup de travail préparatoire sur le lieu même. On est même allé acheter des graines pour le gazon pour pouvoir ensemencer le terrain avant le tournage pour qu’il ait l’air usé.

Pouvez-vous nous parler de ces oiseaux ivres, qui sont-ils et quels sont les messages que vous voulez nous transmettre à travers eux?

Ivan Grbovic : Il y a un côté anti Babel au film. Dans ce sens où le fait qu’il y ait une réponse à tous les mystères à la fin de Babel, te réconforte un peu, mais ici, il n’y a aucune réponse à tous ces entrecroisements. Juste pour dire que tout ce qui reste c’est l’amour. En bout de ligne, si tu enlèves tout aux personnages, ce qui reste c’est : donnez de l’amour. Le film essaye juste de transmettre ça. Cette idée qu’à la fin, même si tout va mal, même si la famille est recomposée de façon chaotique et névralgique, ça reste en bout de ligne de l’amour. Même chose pour Willy, est qu’il retrouve Marlena?… je crois que oui, peut-être, mais leur histoire a commencé avec un moment d’amour. Ça semble très simple, mais c’est un message qu’il faut dire et redire. Nous ne voulions pas faire un autre film... je ne dirais pas déprimant, mais... c’est un film sans réponse. J’aimerais le décrire comme un manège, mais un manège qui est avant tout une expérience viscérale à vivre dans une salle de cinéma.

Sara Mishara : Le milieu des travailleurs, c’est le contexte social du film, c’est l’univers dans lequel le film se place. Mais Les oiseaux ivres, c’est l’histoire de la quête d’épanouissement et d’amour que tous les êtres humains cherchent. C’est vraiment ça le but du film.

Ivan Grbovic : Tout le monde peut comprendre que le monde moderne créé des liens et des dépendances qui sont forcés. Le titre du film fait inconsciemment référence aux oiseaux qui migrent du nord au sud, mais qui sont un peu perdus, qui ne comprennent plus. Un été ils reviennent, ils ne reconnaissent plus leurs terres… j’ai l’impression que c’est ça notre film.

Entrevue réalisée à Montréal, le 5 octobre 2021.

 

(Photo d’en-tête : Sara Mishara et Ivan Grbovic – Crédit : Charles-Henri Ramond)

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