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Québec Cinéma

Hubert Caron-Guay : sauver sa peau

Vendredi, 19 janvier 2018

Le documentaire d'Hubert Caron-Guay, Destierros, prend l'affiche aujourd'hui. Traitant d'un sujet très abordé en ce moment dans l'actualité (la crise des migrants sud-américains), le film nous propose une immersion dans le parcours périlleux de plusieurs migrants qui tentent - sans grandes chances de succès - de rejoindre les États-Unis.

Projeté en compétition officielle, en première mondiale à Visions du Réel en Suisse, et récemment en première nord-américaine aux Rencontres internationales du documentaire de Montréal (RIDM), Destierros prend l’affiche en version originale espagnole sous-titrée française à la Cinémathèque québécoise (Montréal), au Cinéma Cartier (Québec) et à La Maison du cinéma (Sherbrooke), et en version sous-titrée anglaise au Cinéma du Parc (Montréal).

Nous avons rencontré Hubert Caron-Guay, scénariste, recherchiste et réalisateur, pour lui poser quelques questions sur ce projet.

 

Lorsque l’on regarde ton parcours, on voit un gros travail fait au sein du collectif "Épopée". Après ça, comment passe-t-on à Destierros?

J’ai été avec Épopée de 2010 à 2015. Dans un travail collectif, c’est très énergisant, très créatif. Il y a beaucoup d’idées. En 2014, j’ai décidé de partir pour faire mon propre projet. Cette expérience a influencé mon parcours, mes intérêts aussi et a façonné ma façon de tourner.

On y voit en effet un parallèle. Qu’elle soit ici ou ailleurs, la misère humaine est fortement présente. On parle d’homophobie et d’autres formes de discrimination. Comment t’es venu l’idée du sujet? Y-a-t-il un déclencheur?

En 2003-2004, je prends ma voiture et je me rends directement au Guatemala. J’avais le goût d’évasion. J’avais 19 ans à l’époque. Et déjà là, j’ai un rapport aux frontières assez particulier et assez difficile. Par la suite, je rencontre des personnes migrantes qui remontent. Et déjà à partir de là, je me rends compte de ces réalités qui sont très différentes des nôtres et je côtoie aussi les violences dont ces migrants sont victimes. Lorsque je reviens, je fais mes cours en cinéma et à mon arrivée à Montréal en 2006, et j’intègre le collectif "Épopée". Mes intérêts sont déjà marqués par les personnes qui sont marginalisées et en proie à la précarité, donc, c’est très propice à ma démarche et ça fonctionne très bien avec le groupe. C’est ça le point de départ. Lorsque je décide de me lancer dans Destierros, j’y vais comme bénévole dans un refuge pour migrants. C’est quelque chose que je voulais faire depuis longtemps et je sentais enfin que j’avais les outils cinématographiques à ma disposition.

Les trajectoires, les zones de transition, les frontières et les personnes qui migrent sont des aspects qui m’intéressent beaucoup. Les zones d’exclusion aussi. Que se passe-t-il avec les migrants qui décident de fuir leur pays et de transiter vers les États-Unis, ils sont repoussés de toutes parts. Destierros veut dire « bannissements ». Je voulais montre ce visage de la migration tel qu’on le vit en Amérique. On entend beaucoup parler de ce qui se passe en Europe et je me disais ici aussi…

Et ça rejoint de plus en plus en plus l’actualité en ce moment. Est-ce que tu étais conscient en 2014 d’aborder un sujet qui devient à ce point brûlant?

En 2014, quelques personnes me parlaient du Canada, mais très peu. À cette époque Trump ça me semblait inconcevable. Mais en 2016, les gens semblaient déjà affectés et étaient poussés à partir le plus vite possible.

Le film ne laisse pas beaucoup d’espoir…

Les gens savent qu’ils ont peu de chance. Mais pour eux, ce n’est pas un choix. Au Honduras ou au Guatemala, la violence est omniprésente. Il faut partir. Faire le trajet, peu importe les dommages physiques ou psychologiques que ça implique, ça reste très peu par rapport à ce qu’ils subiront dans leur pays. Il faut sauver sa peau. La majorité d’entre eux ont un espoir en l’Amérique, même si c’est en illégalité. Ils savent qu’ils auront un peu d’argent pour le transférer à leurs familles… Ils sont prêts à tout. C’est très énergisant de les côtoyer de ce point de vue là. On est prêt à les suivre. Y-a-t’il de l’espoir pour eux? Depuis l’arrivée de Trump… Selon certaines personnes avec qui je parle encore aujourd’hui, les migrants essayent des voies plus légales. Ils rassemblent des papiers, des preuves de leur condition.

Combien de refuges voit-on dans ton film?

On en voit trois. Au total, il en existe entre 20 et 30, principalement concentrés autour des voies ferrées. Pour la plupart ce sont des organisations religieuses qui s’en occupent. Ils fonctionnent avec les dons de a municipalité dans laquelle ils sont et des dons internationaux, comme ceux du Canada, de la France ou de l’Allemagne par exemple.

C’est un abri très temporaire…

Oui, mais certains restent plus longtemps. Il faut qu’ils participent aux tâches. Sinon, on demande aux gens de rester au maximum une semaine. Ailleurs, on leur laisse le choix de rester le temps qu’ils veulent pour mieux se reposer, mais lorsqu’ils ont décidé de partir, ils ne peuvent plus revenir. Dans ceux plus au nord, ils ont un maximum de trois jours. Ca fait en sorte que les migrants sont plus vulnérables. Tracer sa voie en trois jours, c’est problématique pour certains.

La démarche formelle de ton film est très intéressante, évidemment assumée, mais peut-être au détriment du côté factuel…

Grâce à internet, les chiffres, on les a déjà. Par contre, on a très peu accès aux visages de ces gens-là à leurs histoires et à ce qu’ils vivent durant la traversée. J’ai l’impression que dans le film, on tente de transmettre les états de ces migrants, dans les refuges, au bord des « tracks » de chemin de fer. Et c’est ça qui m’intéressait. Je voulais offrir aux gens la possibilité de se livrer pour nous faire ressentir le poids de ces transitions. Avec les entrevues on a essayé d’accentuer l’écoute, la zone noire autour de leur visage c’est un peu comme la zone d’incertitude qui les entoure. Certains ne savent même pas, concrètement, dans quel endroit ils se trouvent, ils savent juste que le train se dirige vers le nord…

Enfin, pourrais-tu nous parler de ton processus de tournage. Avais-tu fais des repérages en 2014?

Oui, mais quelques-uns seulement. On m’avait déjà parlé de ces refuges, mais je ne les avais pas visités. Il y avait aussi dans notre démarche la volonté de ne pas savoir tout le temps où on allait se rendre. Pour nous aussi c’était une expérience immersive. Partir pendant deux mois et demi de ne pas revenir au Québec et s’assurer que les conditions de vie là-bas nous atteindraient aussi. On maigrissait, on mettait beaucoup d’énergie à transporter notre matériel. Il y avait une réelle volonté de vouloir les accompagner et de s’inspirer de leurs parcours pour créer notre propre trajectoire qui n’était pas complètement réfléchie et pour ne pas être déconnectés d’eux. On avait des points de repères, oui, mais l’idée de passer d’un refuge à l’autre m’a semblé complètement nécessaire pour créer des espaces de rencontres propices et sécuritaires. Il fallait des lieux où les gens se sentent libre de parler. Que l’on soit accepté par les communautés religieuses et que l’on vive dans les refuges avec eux, ça a grandement aidé le projet.

DESTIERROS– écrit, réalisé et produit par Hubert Caron-Guay

Long métrage documentaire, 92 minutes, 2017, Québec, Canada | Version originale espagnole avec sous-titres français ou anglais | Image : Étienne Roussy - Montage : Ariane Pétel-Despots - Conception sonore : Samuel Gagnon-Thibodeau - Mixage sonore : Alexis Pilon-Gladu - Musique originale : Colin Stetson - Production : Les Films de l’Autre - Distribution : Les Films du 3 mars

Site : www.f3msurdemande.ca/destierros

Facebook : www.facebook.com/destierros.film

 

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