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Gala

C'est l'histoire de...

Jeudi, 23 mai 2019

C'est l'histoire de... 6 scénaristes du cinéma québécois qui ont accepté de se prêter à un jeu d’écriture collectif. L'histoire qu'ils ont écrit se construit ici, chaque jour... À demain pour la suite! 

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Tous les jours il se levait et réfléchissait, debout devant le miroir de la salle de bain, À propos du code amoureux. Car pour lui c’était bel et bien ça, un code. Pas au sens d’un code d’honneur, mais d’un code secret. D’une énigme. Devant son reflet il se passait toujours les mêmes réflexions : ceux qui passent leur vie à attendre le baiser parfait – The perfect kiss à l’américaine – finissent seuls à se regarder dans le miroir, comme moi je suis seul devant ce miroir à ressasser les mêmes pensées, avec les mêmes mots. Les yeux dans les yeux dans les yeux dans les yeux, comme les mots dans les mots dans les mots. Un reflet sans fin. Un feedback vide. Rendu là ce n’est même plus de la solitude, c’est une disparition. Alors que les autres, ceux qui se contentent, disons, d’un baiser imparfait, ont-ils l’impression d’avoir choisi des lèvres à défaut d’autres lèvres? Ont-ils renoncé au Perfect Kiss ? Comment font-ils pour rester de glace devant l’allure des autres ? Ils mangent en silence, face à face, les yeux dans les yeux dans les yeux ? Rendu là ce n’est même plus un couple, c’est une disparition. Alors quoi ? Il finit de se brosser les dents, crache dans le lavabo et va s’asseoir devant la télévision. Si l’amour est une énigme, quelle est la question ? Quand l'amour se creuse un trou dans le cœur des hommes, est-ce vide ou plein? Avec sa petite télécommande dans la main, il se promène d’un synopsis à l’autre sans trouver le bon. Parfois, il va se coucher sans n’avoir rien choisi, épuisé par la confrontation avec un algorithme qui ne l’a pas compris. (- YAN GIROUX & GUILLAUME CORBEIL)

« Ci tu veu changer de vi, rejoin-nous dans le parking du stade olimpique, à minui, flambant nu. Signé : une Colonie.» C’est le message qu’il ne cesse de relire depuis ce matin. Apparue dans sa boîte courriel au milieu de la nuit, l’invitation avait d’abord piqué sa curiosité, mais il l’avait écartée, croyant à un canular. Puis vite ça l’avait obsédé, il était incapable de détourner ses yeux croûtés de l’écran : Et si? Et si cette « Colonie » était le grand bouleversement qu’il attendait, qu’il espérait depuis la mort de son fils? L’étincelle qui allait allumer le feu de son coeur, faire renaître l’espoir d’un quotidien moins douloureux? La promesse d’un ailleurs extraordinaire, où il ne serait plus à la solde de rien ni personne… pas même de ses vêtements. Arrivé devant le stade, il sort du taxi et règle la courseDes tuques, des pantalons de neige, des manteaux, des sous-vêtements jonchent le sol ça et là, comme autant de petits cailloux qu’auraient laissés Hansel ou Gretel, ou même les deux; et créent un chemin le guidant vers le Stade Olympique. Gêné par la lumière des lampadaires qui l’aveugle, il avance vers la pénombre tout en se dévêtant. Il jette craintivement ses habits d’hiver parmi tous les autres, puis il continue, son t-shirt à l’effigie de l’émission jeunesse préférée de son défunt garçon, « Space on the corner ». Suivent bientôt ses jeans troués, ses bobettes… Ses chaussettes. Il est flambant nu, tel qu’exigé dans le mystérieux courriel. Il marche, il avance, à la fois incertain et fébrile, dans le stationnement du Stade, puis une voix l’interpelle : « Nice, t’es venu man! C’est cool en tabarnak de te voir flambette. » (- ERIC K. BOULIANNE)

Surpris, l’homme se retourne pour faire face à son interlocuteur. Les oscillations de son corps, dénué de tout support, le surprennent et le fascinent. Enivrée par sa nudité nouvelle, il accueille son ami avec un large sourire, faisant un mouvement de bassin, comme pour faire pivoter un hula hoop imaginaire. Dégoûté, son ami lui rappelle qu’il aurait pu attendre d’être à l’intérieur pour se «crisser à poil», que la sécurité risque de le sortir avant même qu’il ait l’occasion de franchir les portes du Stade, et que comme ça il ne sera pas «ben ben nu-vite longtemps». Le cri d’une foule en délire interrompt les deux hommes. C’est le moment de partir. Dans l’assistance du Stade, la foule en liesse crée des vagues pour accueillir ce qu’il reste des Expos. Des hot-dogs, en dérive, passent d’une main à l’autre, tandis que des vieux amateurs de baseball épuisent ce qui leur reste de nostalgie. L’homme nu, lui, se tient tapi dans l’ombre, attendant le bon moment. Tandis que son ami fait diversion auprès d’un agent de sécurité, il pense à sa petite Sasha, sa sashinka, qui regarde le match depuis la dernière rangée: le seul siège qu’il pouvait se permettre. Enfin, il pourra être visible aux yeux de sa fille : héro des temps moderne, fusée de chair éclaboussant le public de son courage, à la vitesse d’un coup de circuit. À défaut d’être un écrivain pouvant payer ses bills, il pourra au moins écrire une page de l’Histoire. «Cette course », se dit-il, «je la dédie à tous ceux qui ne me lisent pas». Son ami lui lance un regard furtif : c’est le signal. L’homme part à la course. Contourne le garde de sécurité mis à l’écart grâce à l’ingénieuse garde offensive de son ami. Il s’élance sur le terrain tel une flèche à l’arrière champ. Le vent qui souffle sur sa peau flasque lui rappelle son manque chronique d’exercice, et son urgent besoin d’exister. (-GENEVIÈVE DULUDE-DE CELLES)

Mais cette personne, visiblement en pleine crise existentielle, ne savait pas où tout cela la mènerait. "I wanna be touched." Ces mots bien sentis s’échappèrent de sa bouche, dans une langue qui lui était jusque là encore inconnue et maladroite. "I wanna feel alive", rajouta-t-il. En fait, il avait simplement besoin de faire quelque chose de complètement impromptu et spontané. Soudainement, le désir monta en lui et ses joues rougirent même d’excitation. Et pendant que le vent caressait sa peau, doucement, sa main s’aventura dans son pantalon. Au loin, ses yeux fixaient désespérément le coucher du soleil. Il remarqua pour la première fois que des dizaines de vautours survolaient la scène, se laissant bercer par la chaleur des rayons du soleil et la gentillesse du souffle du vent, alors que certains de ces rapaces plongeaient méthodiquement et cruellement vers le nid de ce couple de pigeons, menacés de n’être simplement que des pigeons au milieu de vautours. Il pensa : « c’est étrange, c’est exactement ainsi que je me sens depuis la vie sans ma femme. C’est exactement ainsi que je ne sens la plupart du temps, depuis deux ans : menacé. » À cet instant, tout et rien prenait maintenant son sens : la vie, le vin, les odeurs, le calme, enfin. Et alors que perdu dans ses pensées, faisant sa petite affaire, son cerveau, troublé de tant de spontanéité, eut la délicatesse de lui rappeler sans crier gare que le film Mon ami Walid, ce n’était pas du tout la suite de Mon ami Willy, loin de là, coupant du coup toute inspiration pour atteindre l’orgasme, mélangeant brutalement cette histoire d’épaulard saugrenue à celle réalisée par Adid Alkhalidey, tout autant saugrenue, sinon plus. Et un des vautours attaqua alors violemment la femelle pigeon qui couvait les œufs du nid, faisant virevolter des plumes à gauche et à droite, comme une étrange neige qui apaisait notre héros, et dont il se souviendrait toute sa vie : le moment où il accepta enfin que sa femme n’était plus, et qu’il devait continuer de vivre, lui. Il prit une longue respiration. (-GUILLAUME LAMBERT)

... devant la chute. De Sparte, d’Athènes, et de la Grèce Antique, aujourd’hui, il n’en avait rien à foutre. La session d’automne allait bientôt commencer et il se sentait incapable de parler aux nouveaux étudiants d’Homère ou de la Guerre de Troie. La vérité, c’est qu’il se sentait seul, triste, bref, ça n’allait pas. Son frère Ferdinand lui envoyait des photos de plages d’Australie, du Costa Rica, d’Hawaï, où il faisait du surf sur les plus belles vagues du monde. Il se demandait si Ferdinand était heureux à fuir au bout du monde alors que lui avait tellement fuit dans les livres... Rendu au Plaines d’Abraham, il choisit un banc près du monument de Wolfe et prit de nouveau une grande respiration. Il avait en face de lui un rappel de notre Histoire collective. « Au lieu de m’intéresser aux grands destins du monde, j’aurais peut-être dû aller au plus profond de notre histoire à nous, celle de Ferdinand et moi, je serai peut-être mieux aujourd’hui. » À cause d’eux, leur père avait perdu un oeil. Enfants, au chalet, pendant que leurs parents étaient dehors, ils avaient mis des conserves dans le feu de foyer juste pour... essayer. En rentrant, voyant cela, leur père s’était précipité vers le feu et une conserve lui avait sauté au visage. Perdu dans son souvenir douloureux, son téléphone émit un petit son. Son frère venait tout juste de lui envoyer une photo de lui, en maillot de bain, souriant debout à côté d’un thon de presque deux mètres pendu à un crochet. Il l’appela tout de suite. Après un long bavardage, il lui dit qu’il avait l’air vraiment heureux. Ferdinand lui confirma : « Je n’ai jamais aussi bien été qu’avant qu'on explose la câlice de canne de binnes ». (- CLAUDE LALONDE)

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